Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que votre parcours ?
Je m’appelle Ariane Berdal, je suis hospitalo-universitaire (PU-PH) dans le domaine de la biologie orale à Paris. Mon parcours est présenté sous forme de frise chronologique tout au long de cette interview.
Votre carrière est impressionnante. Avez-vous rencontré des difficultés ? Et si oui, lesquelles ?
Après ma thèse de sciences, mon dévouement à la recherche m’a valu beaucoup de conflits. Dans le domaine dentaire, la recherche n’était pas à la mode, la priorité était de soigner. La réflexion de mon chef de service a d’ailleurs été « Ariane, la recherche c’est pour les loisirs ». Malgré cela, j’ai tenu bon, beaucoup travaillé et rencontré les bonnes personnes et ça a fini par payer.
L’autre difficulté, qui existe encore aujourd’hui, est que l’Europe et la France (contrairement aux USA) ne valorisent pas la recherche en dentaire. Le plus souvent, les chercheurs qui s’y dédient sont noyés dans des équipes transverses, sans aucune visibilité.
A quel laboratoire êtes-vous rattachée ? Quelle place occupez-vous dans ce laboratoire ?
Au moment de l’interview, je suis co-directrice de l’équipe « Physiopathologie orale moléculaire » au Centre de Recherche des Cordeliers. Cependant, je m’apprête à rejoindre l’équipe de Valérie Cormier-Daire à l’Institut Imagine où je serai responsable d’une sous-équipe et où je continuerai à travailler sur les anomalies dentaires dans les maladies rares, qui me tiennent particulièrement à cœur.
Quelle est votre plus grande fierté dans votre carrière ?
J’ai trois grandes fiertés dans ma carrière.
La première est d’avoir participé activement au renforcement des bases scientifiques en odontologie et d’avoir permis de mettre à niveau égal les sciences orales et généralistes. J’ai beaucoup travaillé à étayer le diagnostic en dentaire et à montrer que la « dentisterie » n’était pas un monde à part mais s’inscrivait au sein de la santé globale. Je suis très heureuse de constater que la dent n’est plus considérée séparément mais fait maintenant partie d’un ensemble : le craniofacial.
La deuxième est d’avoir formé une cinquantaine de chercheurs, dont certains sont maintenant chefs d’équipes ou d’unités en France ou à l’étranger (Canada, Brésil, Vénézuela, Tunisie, Maroc…). Je suis fière de savoir que j’ai participé d’une manière ou d’une autre à l’autonomie qu’ils ont maintenant ainsi qu’à la richesse de leur culture scientifique.
Ma troisième fierté, c’est ce qui va pouvoir découler (et qui découle déjà) de tout cet investissement. Je trouve que les nouvelles générations sont très motivées et très compétentes.
Ariane participant à la fête de la Science en 2022.
Cet événement a pour objectif de vulgariser des notions scientifiques au grand public (ici les maladies dentaires) mais également d’encourager les plus jeunes à s’engager dans les métiers de la recherche.
Gène muté dans le syndrome émail-rein
Découverte de l'implication de FAM20A dans le syndrome émail-rein
Age moyen du diagnostic (en années)
Dépôt de calcium au niveau du rein
Quelle est votre thématique principale actuellement ?
La thématique sur laquelle je travaille le plus en ce moment est la compréhension et l’implication du gène FAM20A dans le syndrome émail-rein.
FAM20A est une pseudokinase, c’est-à-dire une protéine avec une séquence proche de la famille des kinases mais dépourvue d’activité enzymatique. Cette protéine est notamment exprimée dans l’émail dentaire. Son activité passerait soit par la réalisation d’un complexe et l’augmentation de l’activité biologique de la protéine FAM20C soit par sa capacité à lier l’ATP.
Dans le syndrome email-rein, le gène FAM20A est muté, c’est-à-dire que la séquence d’ADN est modifiée par rapport à un individu sain. Cela résulte en un changement de la conformation de la protéine FAM20A qui ne peut plus exercer correctement son activité. L’implication de ce gène dans la pathologie n’a été découverte que récemment, en 2012. Malheureusement, sa mutation n’est en générale diagnostiquée chez les patients qu’à l’âge de 8 ou 9 ans, ce qui est relativement tardif. Sa mutation implique l’apparition :
- d’anomalies dentaires : éruption des dents très tardive, amélogenèse imparfaite (défaut de structure et d’apparence de l’émail des dents), calcifications de la pulpe dentaire ;
- de problèmes rénaux dûs à des dépôts de calcium au niveau du rein.
L’originalité de notre approche est de ne pas se focaliser uniquement sur l’étude de la dent mais sur la dent dans un ensemble plus large (mâchoire). L’objectif final de ce projet est de découvrir des traitements thérapeutiques, qui, nous l’espérons, permettront d’interrompre le processus malformatif. Ce sujet constituera mon cheval de bataille jusqu’à la fin de ma carrière je crois.
Sur quels modèles biologiques travaillez-vous ?
Nous travaillons à plusieurs échelles : in vitro avec des modèles de cultures cellulaires et de co-cultures, in vivo avec des modèles murins, et à l’échelle clinique avec des patients atteints des pathologies auxquelles nous nous intéressons.
Dans ce cadre, menez-vous des actions spécifiques au niveau européen et international ?
Nous réalisons des collaborations régionales, nationales et internationales avec des collègues basés au Maroc, au Brésil et au Canada pour n’en citer que quelques-uns. L’intérêt de ces collaborations pour nous est d’avoir le plus de cas cliniques possibles afin de constituer une cohorte suffisamment importante pour en tirer des conclusions scientifiquement robustes.
Pourquoi cet intérêt pour les maladies rares ? D’où est-il venu ?
Cet intérêt pour les maladies rares est venu d’une conjonction de deux éléments :
A votre avis, quelles seront les grandes avancées du futur en recherche dans votre domaine ?
Je crois beaucoup aux nouvelles approches globales omics, de Big Data et d’intelligence artificielle. Elles ont à mon sens l’avantage d’être non biaisées, contrairement aux méthodes de recherche d’il y a encore 10 ans. Je pense sincèrement que ces outils vont nous aider à traiter des maladies rares et même à extrapoler certaines découvertes à des maladies beaucoup plus communes !
A quoi ressemble votre quotidien ?
Je suis actuellement en fin de carrière, je passe donc moins de temps à la paillasse, c’est mon équipe qui se charge des expériences en biochimie et biologie moléculaire. Mon travail consiste plutôt maintenant à rédiger des contrats, à former et à aider à se développer professionnellement les plus jeunes. Je trouve encore un peu de temps pour poursuivre la microscopie, qui m’intéresse particulièrement. En parallèle, j’ai encore une activité clinique qui consiste à poser des diagnostics mais je ne réalise plus de soins à proprement parler.
Si vous ne deviez choisir qu’un seul adjectif pour définir la recherche que vous menez, quel serait-il ?
Prospective et angoissante. En tant que chercheurs, nous sommes toujours tournés vers l’avenir mais d’un autre côté, nous avons tellement à faire… Nous ne sommes jamais pleinement satisfaits du travail accompli, ce qui, je dois l’admettre, peut créer un certain climat d’angoisse.
Si vous étiez une partie du corps, laquelle seriez-vous ?
Je serais le cœur. Pour moi, le cœur, c’est l’humain. Au final, c’est le plus important.
Si vous étiez un matériel de laboratoire, lequel seriez-vous ?
Je serais le Titan™, un microscope à haute résolution. Il m’a récemment permis de voir s’agiter des cristaux d’hydroxyapatite contenus dans l’émail. Le fait de pouvoir voir la matière à l’échelle atomique m’a beaucoup émue !
Si vous étiez une grande découverte, laquelle seriez-vous ?
Sans hésiter, je serais la PCR (Polymerase Chain Reaction). Cela a débloqué beaucoup de problématiques en recherche et a permis de nombreuses avancées !
Si vous deviez faire un autre métier, lequel serait-ce ?
Si cela devait être un métier en lien avec le médical, je serais devenue généticienne, cela m’aurait aidée dans ma carrière à faire comprendre l’importance de la génétique dans le milieu dentaire.
Sinon, je serais devenue réalisatrice de cinéma. Cela m’aurait permis de concilier deux éléments importants pour moi : le fait de monter et construire quelque chose de toute pièce mais surtout l’aspect humain avec la gestion d’équipe.